Chaque dernier mardi du mois, des hommes et des femmes se tiennent debout dans le silence, durant une heure, sur la place de la République à Lille, entre la Préfecture et le Musée des Beaux-Arts, pour protester contre la situation des personnes migrantes sans titre de séjour en France. Ce 28 octobre, je décide de les rejoindre. Heure d’hiver oblige, à 18h il fait déjà nuit. Et toutes les lumières de la place sont éteintes. Problème technique sans doute. On n’y voit goutte. Douze ombres forment un cercle, certaines portent un gilet blanc fluo. Ils reflètent les phares des vélos qui traversent la place à toute allure. Personne ne peut deviner le moindre mot de la banderole qui indique le sens de ce cercle silencieux, immobile dans le froid humide.
Durant une heure, ces douze ombres, par leur silence et leur immobilité, « signes extérieurs de prière », autour d’une petite lumière placée au centre du cercle, témoignent de la résistance contre l’inhumanité. Et dans la nuit d’encre, quelques passants ralentissent, hésitent, s’arrêtent, allument leur téléphone pour lire le panneau explicatif. Je devine leurs interrogations : que font donc ces fous dans le noir et le froid ? Certains rejoignent le cercle pour quelques minutes. Et je repense aux textes des prophètes, à Habacuc sur sa muraille attendant de voir si Dieu va répondre à sa plainte, à Esaïe rapportant ces paroles : « veilleur, où en est la nuit ? » Et le veilleur répond : « Le matin vient, mais c’est encore la nuit. » (Es.21.11-12).
Dans la nuit du monde, ces témoins manifestent par leur présence vigilante une espérance que rien ne peut étouffer. Leur comportement peut paraître insensé mais il atteste qu’un autre monde est possible. Le matin vient, mais c’est encore la nuit. Merci à ces femmes et ces hommes têtus. Oui, par elles et par eux, le matin vient.
Pasteure Emmanuelle Seyboldt